Quand on s'intéresse à la fois aux oeuvre d'Howard Philipp Lovecraft et aux comics, on finit par tomber sur la production d'Alan Moore, le fameux auteur qui a construit sa réputation avec des titres comme Watchmen ou V pour Vendetta.
Lovecraft et Alan Moore donc... Neonomicon n'est pas une oeuvre isolée car ses éléments narratifs peuvent être reliés à l'oeuvre plus imposante qu'est "Providence", que je n'ai pas encore lu. Je ne m'en triendrais donc qu'à Neonomicon pour le moment, ouvrage qui peut - à mon sens - être découvert seul.
Neonomicon est un histoire en deux parties : un prologue et l'histoire en elle-même. Une histoire surprenante : je n'avais aucune idée de ce que j'allais découvrir dans ces pages et j'ai été surpris par la tournure des évènements pour les 2 héros du récit principal...
Mais reprenons depuis le début! Le comic s'ouvre sur un prologue plus que réussi. Le lecteur est de suite baigné dans une atmosphère sombre et sordide, qui colle parfaitement à l'enquête menée par le lieutenant Sax sur des meurtres bien étranges : auteurs différents que rien ne relie mais mode opératoire identique! Cette enquête va mener notre agent fédéral vers des contrées où la folie rode...
Ce premier acte plante le décor de fort belle manière. Le parti pris graphique du dessinateur Jacen Burrows de découper chaque planche en 2 sections verticales est plutôt bien vue et lui laisse beaucoup de champ libre pour sa créativité et dessiner une banlieue de type "zone" dans laquelle nous n'aimerions pas nous égarer.
D'un point de vue narratif, ce prologue nous permet de prendre connaissance de personnages et de l'environnement dans lequel ils évoluent. Il nous permet surtout de prendre conscience de la dimension lovecraftienne du récit : Alan Moore n'est pas avare de références et il s'amuse comme un petit fou à en mettre absolument partout, ce que l'on va bien sûr retrouver dans l'histoire principale. De l'Aklo à la chanteuse appelée Randolph Carter, jouant à Red Hook, un autre personnage nommé Johnny Carcosa, mention de Pickman et de la ville d'Insmouth, ce ne sont là que quelques exemples ! On peut aussi noter ces références dans les détails des dessins (Signe des anciens sur les murs, bouquins et objets divers dans la boutique "Whispers in Darkness")... quand ce sont pas des monstres de l'horrible bestiaire du mythe qu'on aperçoit (on reconnait bien Cthulhu, Tsatogghua, mi-gos et autres shoggoths à un moment clé du prologue). Des références nombreuses donc à l'oeuvre de Lovecraft, qui montrent à quel point l'auteur connait le maître de Providence sur le bout des doigts. Dernier détail sur ce sujet, les titres évocateurs des chapitres : "Les compagnes hallucinées", "Dans l'abîme de l'Amérique", "Le langage devant le seuil" ou encore "Ce qui rode en dedans"... Autant de références à Lovecraft (et de messages de Moore)...
Le récit principal suit une intrigue des plus linéaires, et tranche volontairement avec le prologue. D'un point de vue graphique tout d'abord : Jacen Burrows abandone les sections verticales pour des sections horizontales. Ce découpage donne un certain rythme à la lecture et dont on ne sort des cases horizontales que pour planter un décor particulier ou souligner un évènement dramatique du récit. J'ai beaucoup apprécié ce parti-pris de composition graphique.
Par ailleurs, on se retrouve avec 2 héros et non un seul : là où l'agent Sax était confronté à un seul interlocuteur, les agents Merril Brears et Gordon Lamper doivent faire face à un petit groupe de personnages. Le lieu de l'action est également évocateur : sombre zone dans le prologue, petite ville ensoleillée (Salem) dès le deuxième chapître du récit principal. Autre changement : le personnage de Merril Brears connaît bien Lovecraft et son oeuvre, et fait directement le lien entre les différents éléments de l'enquête et l'auteur de Providence, comme s'il fallait prendre de la distance avec les faits, comme si les agents fédéraux se méfiaient d'une résonnance des oeuvres de Lovecraft dans leur réalité, oeuvres interprétées par des personnages qui ont un rôle dans l'enquête... Une enquête qui les emmène aux portes d'une certaine folie, d'une façon assez brutale et abjecte, folie qui prends corps avec une longue scène aux caractères sexuels qui peut choquer. Je ne suis pas amateur de ce type de scène et j'avoue que je me demandais où Moore voulait en venir avec un tel développement. On pourrait se dire que c'est assez gratuit mais cette scène peut être justifiée, au moins pour deux raisons : elle sert merveilleusement bien la conclusion du récit d'une part, et d'autre part, je pense que le parti pris est de montrer la folie ordinaire d'une certaine Amérique, celle cradingue sous couvert de normalité, celle qui est souvent la cible d'oeuvres cinématographiques ou littéraires. Une scène dérangeante, où l'on montre cette folie normalisée, banalisée (du moins pour les personnages), avec encore là une petite trouvaille graphique avec la vue à la première personne de l'agent Merril.
Une scène donc dérangeante, que je n'ai pas apprécié plus que ça, mais qui sert le récit et en prépare sa conclusion. Mais une scène qui, à mon avis, aurait pu avoir le même impact sans être développée autant. Mais n'était-ce pas ici le but des auteurs de choquer, tout simplement?
Vous l'aurez compris, Neonomicon s'adresse à un public averti, assez connaisseur de l'oeuvre de Lovecraft sans pour autant aller là où on s'attends (exit les tentacules, forêts ténébreuses, cimetières ou tertres aux pierres dressées!). Un voyage intéressant qui peut dérouter autant que plaire au lecteur... Un voyage à continuer avec Providence ? ;-)
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